Le biltong désigne de la viande séchée, coupée en fines lamelles.
Toutes les plantes citées sont inventoriées dans l’annexe 1. Deux modes principaux d’identification des plantes ont été utilisés. Pour certaines, il a été possible de s’appuyer sur des travaux d’ethnobotanique menés précédemment parmi les Naro. Les études les plus complètes à ce jour sont celles de Story (1959), de Steyn (1981) et de Barnard (1984 ; 1985 ; 1986). L’usage de cette littérature n’est toutefois pas aisé, du fait notamment que ces ouvrages ont été écrits avant la mise en place du système actuel de transcription de la langue naro. Les anciennes transcriptions combinent le plus souvent plusieurs systèmes de transcription phonétique, dont le résultat peut différer considérablement de l’orthographe conventionnelle adoptée depuis lors. Ainsi, par exemple, la griffe du diable [Harpagophytum procumbens] orthographiée g//a.te.n//abu dans Barnard (1985 : 54) prend la forme xgaá tsi nxabo (//xaá tsi //nabo) dans le dictionnaire naro-anglais (Visser, 2001). Cela rend la reconnaissance de certains termes vernaculaires difficile. En outre, le dictionnaire naro-anglais élaboré par le Naro Language Project (Visser, 2001 : 234-237) comprend également une liste de plantes, avec pour certaines des déterminations. Toutefois, dans la majorité des cas, aucune détermination n’est proposée, le degré de précision donné pouvant varier du nom commun en anglais ou en afrikaans, à une simple indication « baie », « plante », « herbe ». Enfin, seul l’ouvrage de Story s’accompagne d’une documentation visuelle (photographie et dessins). Pour toutes ces raisons, ces listes donnent certes des indications importantes pour l’identification, mais ne peuvent se suffire à elles-mêmes et ont nécessité dans tous les cas des vérifications complémentaires à l’aide d’ouvrages de botanique.
Lorsque le nom vernaculaire n’a pas pu être ainsi retrouvé dans les listes déjà existantes, une seconde option a été de se référer à des ouvrages d’ethnobotanique consacrés à d’autres populations (Silberbauer, 1981 ; Tanaka, 1980 ; Fox & Norwood Young, 1982 ; Leffers, 2003 ; Van Wyk & Gericke, 2007 (2000) ; Roodt, 1998a ; 1998b ; Koenen, 2001 ; Van Wyk, Van Wyk & Van Wyk, 2014) et de les croiser avec des sources botaniques plus générales (Ellery & Ellery, 1997 ; Palgrave, 1997 ; Rooyen et al., 2001 ; Heath & Heath, 2009 ; Gutteridge & Reumerman, 2011 ; Kirby, 2013 ; Hyde, Wursten, Ballings et al., 2018 : Flora of Botswana ; Hyde, Wursten Ballings et al., 2018 : Flora of Zimbabwe). Le croisement de ces deux types d’information différents a permis de déterminer de manière relativement précise l’espèce et parfois le genre de plusieurs plantes. La combinaison de caractéristiques singulières de la plante avec des usages et des propriétés très particuliers permet en effet d’assurer un niveau de détermination relativement précis. Par exemple, dans le cas de q’aro [Commiphora africana ?], les usages reportés par Coex’ae Bob, et particulièrement le fait que l’on trouve dans cet arbre les larves de Diamphidia simplex utilisées auparavant comme poison pour les flèches lors de la chasse, laissent peu de doute sur l’identification de la plante, étant donné que la seule plante-hôte connue pour ces larves est Commiphora africana (Palgrave, 1997 : 358 ; Roodt, 1998 b : 93 ; Van Wyk & Gericke, 2000 : 240). Néanmoins, comme ces recoupements d’information n’ont par ailleurs pas donné lieu à une identification formelle de la plante, les déterminations proposées sont accompagnées d’un point d’interrogation.
Les graines et les tubercules de morama [Tylosema esculentum] sont parmi les plantes alimentaires les plus importantes et les plus consommées par les Naros (Barnard, 1984 ; Guenther, 1986 : 146-147). En naro, un nom différent est donné aux graines, cguì, et aux tubercules, càm. Les graines peuvent être consommées encore vertes ou alors une fois sèches. Elles sont soit bouillies soit cuites dans les braises. La plante est appréciée pour son goût et pour sa forte valeur nutritive. Des études menées dans les années 1980 sur les propriétés de cette plante ont montré que les graines contiennent entre 30 et 35 % de protéines, et 35 à 42 % de graisse (Bower et al., 1988 : 534), ce qui les rend comparables en termes d’apports nutritifs à la plupart des légumineuses.
Au Kuru Art Project, les moramas sont les plantes le plus souvent représentées, surtout par les femmes (85 %). Au moment de cette étude, dix-sept gravures et peintures avaient pour titre cguì, càm et/ou morama. Il s’agit aussi de l’une des rares plantes pour lesquelles les divers éléments constitutifs de la plante sont représentés, détaillés (racine, fleur, feuille, graines, coque) et parfois nommés dans le titre.
Nxam [Cucumis kalaharensis]. Le fruit ne se mange pas. En revanche, les racines peuvent être consommées crues ou cuites (Steyn, 1981 : 11 ; Barnard, 1985 : 52 ; Van Wyk & Gericke, 2007 (2000) : 84-85 ; Leffers, 2003 : 83).
La flore du Kalahari est présente dans la majorité des gravures et peintures de Coex’ae Bob. Les activités de cueillette et les plantes utilisées à des fins alimentaires occupent une place particulièrement importante dans les tableaux de Coex’ae Bob, dont un certain nombre représente explicitement des personnes dans une activité de cueillette et/ou de la « veldfood » [nourriture du veld/bush]. La majorité des variétés de plantes (19) qui ont pu être identifiées sont des plantes alimentaires, à l’instar de dqubi (Pentarrhinum insipidu ?), nxam (Cucumis kalaharensis) et xòro (Babiana hypogea ?), et médicinales (10), comme xgaá tsi nxabo (Harpagophytum procumbens).
Dqãe Qare est une ancienne ferme d’élevage, qui a été achetée en 1993 à la demande du KDT avec l’aide de fonds européens (SNV) pour les communautés san de D’kar. À la fin des années 1990, la ferme a été transformée en parc animalier, géré par le Kuru D’kar Trust (une branche de la KFO) (Berg, 2001 : 35-38). Le parc se situe dans le bloc de fermes de Ghanzi, à une vingtaine de kilomètres au sud-ouest de D’kar.
L’ensemble des lieux mentionnés par Coex’ae Bob ont été répertoriés sur la carte ci-contre. S’agissant de propriétés privées, les fermes n’ont pas été localisées précisément sur la carte. L’ensemble des lieux cités se trouvent dans le district de Ghanzi.
Chacal (círí) est l’un des principaux protagonistes des histoires naro. On le retrouve surtout dans les histoires relatives à la vie dans les fermes. Il y incarne en général le rôle de trickster, qui se joue des fermiers et des autres employés. Dans son analyse des mythes et des fables naro, Mathias Guenther (1989 : 129) interprète ce type de récits comme une façon de composer avec la situation d’oppression vécue sur les fermes, où la majorité des Naros ont, un jour ou l’autre, travaillé. Alors qu’eux-mêmes n’ont pas la possibilité de réagir ou de s’opposer directement à leur employeur, leurs récits illustrent une forme de « résistance passive » à l’oppression ressentie (Guenther, 1989 : 129). Les récits enregistrés dans les années 1970 par Mathias Guenther s’achèvent tous sur une scène où Chacal a le dernier mot. Ce n’est pas le cas dans le récit de Coex’ae Bob, dans lequel Chacal finit par être puni à mort pour ses tromperies.
Huwa est un terme naro signifiant histoire. Il est généralement utilisé pour désigner toutes formes de récits se déroulant dans les temps anciens. Il englobe sans distinction mythes, fables, contes et légendes historiques.
West et East Hanahai sont deux settlements établis au sud-ouest du bloc de fermes de Ghanzi (voir carte précédente). Coex’ae Bob et sa famille ont acquis des terres à proximité de East Hanahai pour leur bétail. Comme la ferme se situe à environ 100 kilomètres de D’kar, ils y emploient quelqu’un pour garder le bétail.
Le Remote Area Development Programme, mis en place en 1978 (cf. chapitre II), inclut un programme appelé livestock distribution scheme, destiné à favoriser la diversification des ressources et l’amélioration des conditions de vies dans les régions paupérisées (Botswana Institute for Development Policy Analysis, 2003 : 89). Ce plan prévoit entre autres l’octroi à tout adulte vivant dans un des remote area dweller settlements de cinq bovidés ou de quinze chèvres (Botswana Institute for Development Policy Analysis, 2003 ; Moreki et al., 2010). Selon un communiqué du Gouvernement du Botswana en 2009, 602 personnes avaient bénéficié jusqu’alors de la distribution de bétail. 2 300 bovidés et 2 018 chèvres avaient été distribués (Hitchcock, Sapignoli & Babchuk, 2011 : 73).
En 2003, un rapport établi par le Gouvernement du Botswana sur la base de plusieurs travaux de recherche listait une série de problèmes observés dans l’application de ce programme d’aide, notamment parmi les populations Basarwa de Ghanzi : un manque de pâturages disponibles à proximité des settlements, des conflits liés aux usages des sols, la présence de prédateurs, l’absence de moyens financiers pour assurer les soins et les services indispensables à l’élevage de bétail ou encore un nombre de têtes de bétail insuffisant pour que cela constitue une ressource économiquement viable (Botswana Institute for Development Policy Analysis, 2003 : 89-90).
Éland du Cap [Taurotragus oryx] : une ferme avoisinante de D’kar a possédé durant un certain temps un éland domestiqué qui était gardé avec les chevaux.
Rooibrak est situé au sud-est du bloc de fermes. Dans le projet de développement élaboré par Childers et repris par Wily (voir chapitre II), il avait été prévu d’y implanter un Land and water development areas. Toutefois, en raison de l’absence d’eau potable, le settlement n’a jamais vu le jour (Childers, Stanley & Rick, 1982 : 6 ; Hitchcock, 2006). Aujourd’hui, les terres de Rooibrak sont parfois utilisées de manière informelle comme lieu de pâturage pour le bétail.
Un barky est au départ une marque de pick-up. Par extension, il est employé à D’kar pour désigner toutes les voitures présentant une plage arrière ouverte, telle que celle visible à la page 301.
En plus de ces cinq types de perles, Coex’ae Bob utilise également des graines de qg’abe (Combretum hereroense), de nxãe (Citrulus lanatus), de tc’uri (Ximenia americana) et de ntcãa tcee (Bauhinia petersiana). La plupart du temps ces perles à base de végétaux ne sont pas utilisées seules, mais en alternance avec des perles d’œufs d’autruche ou des perles de verre de couleur. Avant de rejoindre le projet d’art, Coex’ae Bob réalisait et vendait des bijoux réalisés à partir d’œufs d’autruche. Aujourd’hui, ses quatre filles ont repris la pratique. La production et la vente de ces objets constituent ainsi depuis de nombreuses années une activité régulière de la famille Bob, principalement mais non exclusivement une activité de femmes et une ressource économique importante. Les colliers, les bracelets, les pagnes et les sacoches décorées sont des sujets très présents dans les tableaux de Coex’ae Bob (près de 15 %) ; très souvent ils sont également associés à des femmes, voire directement à elle-même ou à ses proches, comme dans la peinture My mother and sister, rope plant and pot.
En naro, le terme kg’om [Grewia sp.] est un terme générique, à l’intérieur duquel sont distinguées trois variétés différentes : les kg’om masculin, qàbè, les kg’om féminin, dcéné et les qhùru. Bien que cette distinction à l’intérieur des kg’om soit fréquente à D’kar, et qu’elle soit répertoriée dans le dictionnaire naro-anglais (Visser, 2001 : 234-235), dans les listes existantes des plantes comestibles utilisées par les Naros (Steyn, 1981 : 12 ; Barnard, 1985), seul le terme générique kg’om est répertorié en tant que Grewia flava. Au cours de ce terrain, l’arbre qhùru n’a pas pu être vu. D’après Coex’ae Bob, les baies de qhùru sont très sucrées et ne possèdent qu’une seule graine, alors que dcéné et qàbè en possèdent deux. Les baies de qhùru et dcéné peuvent être utilisées pour la préparation de bières artisanales. Le bois des trois sortes de kg’om est très apprécié et peut être utilisé pour fabriquer des cannes ou en tant que foret rotatif pour percer les trous dans les perles à base d’œufs d’autruche. Le bois de qàbè et de qhùru peut également servir à fabriquer des arcs (voir aussi : Ellery & Ellery, 1997 : 118-119 ; Palgrave, 1997 : 570 ; Roodt, 1998b : 74-79 ; Leffers, 2003 : 115 ; Van Wyk et al., 2014 (2000) : 165). Les observations effectuées n’ont pas permis de déterminer avec certitude si dcéné et qàbè correspondent à deux variétés différentes de Grewia (respectivement Grewia flava et Grewia bicolor), ou s’il s’agit de distinctions opérées à l’intérieur des Grewia flava.
À l’instar de dcùrù (Vangueria sp.), les plantes représentées par Coex’ae Bob sont souvent associées à des usages multiples. Ainsi, par exemple Coex’ae Bob utilise l’arbre xanà (Acacia erioloba) à la fois pour ses graines, qu’elle emploie comme perles dans son artisanat, pour ses cosses qu’elle porte parfois directement en pendentif (en bougeant, les graines à l’intérieur de la cosse produisent un son léger), et pour ses racines qui peuvent être utilisées pour soigner le rhume ou aussi, en raison de leur mauvaise odeur, pour chasser les mauvais esprits. Par ailleurs, il est aussi possible de cueillir sur les xanà une sorte de chenille comestible, appelée nqoo.
Harpagophytum procumbens, communément appelé la « griffe du diable », est une plante médicinale largement répandue au Botswana, en Namibie et en Afrique du Sud. Les tubercules sont utilisés par les Naros et par d’autres populations san (notamment les Ju/’hoansi) pour soigner de très nombreux problèmes de santé tels que manque d’appétit, fatigue, douleurs menstruelles, douleurs de poitrine, problèmes de reins, problèmes de digestion, etc. (Barnard, 1985 : 54 ; Roodt, 1998a : 132-134 ; Van Wyk & Gericke, 2007 (2000) : 146 ; Leffers, 2003 : 121 ; Kirby, 2013 : 321). Dans les années 1960, après plusieurs études du tubercule, Harpagophytum procumbens a commencé à être utilisé par l’industrie pharmaceutique en Allemagne. L’efficacité de la plante notamment contre les rhumatismes et l’arthrite a suscité un engouement rapide, qui va faire exploser dans les années 1990 le volume d’exportation de la plante. Au début des années 2000, Harpagophytum procumbens était la troisième plante médicinale d’Afrique la plus utilisée en Allemagne, engendrant un chiffre d’affaires d’environ 30 millions (Strohbach & Cole, 2007 : 9). Au Botswana, l’exportation commerciale a débuté dans les années 1970 (Cole & Du Plessy, 2002 : 9). Afin de protéger la plante d’un risque de surexploitation, le Gouvernement du Botswana a inscrit Harpagophytum procumbens sur la liste protégée par le Agricultural Resources Conservation Act de 1977. En 2000, Harpagophytum procumbens était pour le Botswana la seule plante dont la cueillette, le commerce et l’exportation étaient régulés par l’Agricultural Resources Board (Cassidy, 2000 : 25 ; Raimondo & Donaldson, 2002). Les permis de cueillir sont délivrés à un individu qui peut ensuite étendre l’autorisation de cueillir à d’autres personnes. Ils sont soumis à un quota annuel de 50 kg de tubercules qui doivent être cueillis sur une période de un à deux mois entre avril et août (Velempini & Perkins, 2008 : 80). Contrairement à la Namibie, où l’on estime que 10 000 à 15 000 personnes dépendent de la vente de la griffe du diable pour vivre (Cole & Du Plessy, 2000 : 9 ; Strohbach & Cole, 2007 : 7), en 2002, Raimondo et Donaldson (2002 : 5) indiquaient dans un rapport destiné à évaluer la nécessité d’inscrire Harpagophytum procumbens dans la liste de la Convention internationale sur le commerce des espèces protégées (CITES), qu’au Botswana : « seul un petit nombre de villages cueillent la griffe du diable, car le faible revenu généré par cette activité n’a de valeur que pour les communautés rurales pauvres et les plus marginalisées » (traduction de l’auteure). À D’kar, bien que la cueillette et la vente de cette plante constituent bel et bien une source de revenu pour certains, cela semble néanmoins occuper une place bien plus marginale. Je n’ai pas rencontré de personnes qui dépendaient uniquement, ni même principalement, de cette ressource pour vivre.
Coex’ae Bob m’a dit avoir possédé un certain temps une telle licence et avoir également cueilli à quelques occasions pour d’autres personnes possédant des licences. Toutefois, cela ne lui a jamais permis d’assurer un revenu, en raison notamment du fait que les personnes avec une licence de cueillette ne possèdent pas forcément de licence de commercialisation et d’exportation. Il lui est par conséquent arrivé de cueillir des tubercules et de les stocker, mais de les voir pourrir avant de pouvoir être vendues, le transfert au revendeur étant trop long.
Un certain nombre des plantes que Coex’ae Bob liste parmi ses plantes favorites ne se trouvent actuellement pas à proximité de D’kar, ou alors pas dans des zones accessibles. Elle-même avait l’habitude de les cueillir lorsqu’elle vivait avec ses grands-parents du côté de Chobokwane (à environ 150 kilomètres au sud-ouest de D’kar). Malgré un passage à Chobokwane en 2014 avec Coex’ae Bob, quelques plantes, telles que c’iri et xòro, n’ont pas pu être vues. Il s’agit respectivement d’une racine et d’un bulbe, consommés une fois cuits. D’après la liste des plantes connues et utilisées par les Naros inventoriées par Steyn (1981) et Barnard (1985), incluant les noms vernaculaires, et en m’appuyant sur les descriptions que Coex’ae m’a données de ces deux plantes, il est possible de supposer, mais sans certitude, que c’iri corresponde à Vigna dinteri (/iri) et que xòro puisse être Babiana hypogea (g//oro). En revanche, rien ne permet clairement d’identifier dxão [n.d.], ncãoghara [n.d.], qàra [n.d.] et xgaa nxabo [n.d.]. D’après Coex’ae Bob, dxão et ncãoghara sont deux tubercules comestibles du même type que q’aru [Ceropegia multiflora]. Ncãoghara est mangé cru et contient beaucoup d’eau. Qàra et xgaa nxabo sont consommés pour leurs fruits.
La relation établie par Coex’ae Bob entre les caméléons, les lézards et la mort est sans doute à mettre en lien avec une histoire enregistrée à D’kar en 1966 par Mathias Guenther (1989 : 52) : « Certains racontent que Lune avait envoyé Lézard sur terre, du ciel, sur la terre, pour dire aux gens que tous ceux qui meurent sur terre ne mourront pas pour toujours. Parce que Lièvre avait entendu le message et qu’il était plus rapide que Lézard, il dépassa Lézard et dit aux gens : “Lune dit que tous ceux qui sont sur terre mourront pour toujours.” Quand Lézard arriva, il donna le bon message aux gens. Mais, comme les premiers mots leur étaient arrivés avant, ils ont eu une plus grande “force” (impact). C’est pourquoi ils ont cru au premier message. »
Cette histoire est une variante de l’histoire de la hase et de la lune, largement répandue parmi les populations Khoisan et Bantu d’Afrique australe (Guenther, 1989 : 50-51, 1999 : 126-145). Sigrid Schmidt (2013 : 334-338) a recensé au total plus d’une centaine de versions de cette histoire enregistrées aussi bien chez les Naros, que les Nama, les Damara ou encore les Kua (Schmidt, 1989, 2 : 63-70, 2013 : 334-338 ; Guenther, 1999 : 128). L’histoire raconte comment la Hase, chargée par la Lune (qui dans l’histoire est un personnage masculin) de transmettre aux humains le message qu’ils sont immortels, va transformer le message et leur dire au contraire qu’ils doivent mourir.
« La Lune envoya un jour la Hase pour dire aux gens que : “Lorsque je meurs, ils doivent mourir, et lorsque je nais, ils doivent aussi renaître.” Et il l’envoya avec ce message. Mais les gens ont commencé à se moquer d’elle et elle se fâcha.
Alors elle leur dit : “Si vous mourez, vous devez mourir pour toujours.” Et ils dirent : “Quoi ?” Et la Hase rit et répéta : “Si vous mourez, mourez pour toujours.”
Et ensuite, il vint et elle vint et la Lune lui demanda : “Qu’est-ce que tu leur as dit ?” et la Hase répondit : “Je leur ai annoncé que tu avais dit qu’ils devaient mourir pour toujours.” Et il [la Lune] prit un œuf et en frappa les lèvres de la Hase. C’est pourquoi elle porte maintenant cette coupure (toara). Il la frappa et dit : “Pourquoi as-tu dit des mots que je n’ai pas dits ? Pourquoi as-tu menti ?” C’est ce que l’on raconte. La Hase chauffa alors une couverture et lui dit : “Laisse-moi réchauffer cette couverture pour te réchauffer.”
Et une fois la couverture brûlante, elle la lança à sa face. Il essaya de l’enlever de son visage, mais ne réussit à enlever qu’une seule partie. L’autre resta et couvre encore aujourd’hui une partie de la Lune. C’est pourquoi tu vois maintenant sa face couverte et sèche » (Coex’ae Bob, juin 2017).
Selon Mathias Guenther (1989 : 52), la version dans laquelle le messager n’est plus la Hase mais le Lézard, qui arrive trop tard pour le délivrer, est dérivée d’un mythe similaire circulant parmi les populations bantoues. Dans certaines versions, le Lézard est un caméléon (Guenther, 1989 : 52 ; Schmidt, 2013 : 334-335). Coex’ae Bob n’a jamais explicité de lien entre cette histoire et la peur que les lézards ou les caméléon ne soient porteurs de nouvelles funèbres et elle m’a dit ne pas connaître de mythe sur les caméléons ou les lézards. Toutefois, alors qu’au sein d’autres groupes san, tels que les /Gui et les //Gana (Tanaka & Sugawara (éd.), 2010 : 18), aucune croyance ou pratique particulière n’a été reportée vis-à-vis de ces deux animaux, à D’kar, il semblerait qu’ils soient effectivement générateurs de peurs. Durant cette étude, j’ai ainsi retrouvé à plusieurs reprises des caméléons morts et empalés sur les épines d’un arbre, le plus souvent après avoir été tués à coup de fronde par les enfants.
À ma connaissance, il n’existe pas de travaux d’identification des diverses sortes de lézards reconnues parmi les populations naro. Les deux types de lézards auxquels Coex’ae Bob fait référence, à savoir horí et nxano, n’ont pas pu être formellement identifiés. D’après le dictionnaire naro-anglais (Visser, 2001 : 225), les nxano appartiennent à la famille des Scincidae. Les horí et les nxano ne comprennent ni les geckos (lézards appartenant à la famille des Gekkonidae), ni les varans (Varanus sp.), ni les agamas (genre de sauriens de la famille des Agamidae).
Pour une critique détaillée de l’usage des légendes en sciences sociales voir Chaplin, 2006.